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(1/3) Les origines de la Corée et le royaume de Goguryeo : Entre récits nationalistes et réalités historiques

  • Writer: Romain Fernex
    Romain Fernex
  • May 17, 2024
  • 8 min read

Updated: Jun 29, 2024

“The strongest cause for feelings of nationality … is identity of political antecedents; the possession of national history, and consequent community of recollections; collective pride and humiliation, pleasure and regret, connected with the same incidents in the past”, John Stuart Mill, Considerations on representative government, Ch. XVI, Of Nationality, as connected with representative government

En analysant ainsi les racines du sentiment de nationalité John Stuart Mill nous rappelle un rôle majeur, et pourtant parfois oublié, de l’histoire : son rôle politique. En effet toute nation, peu importe qu’elle fut formée récemment ou non, qui cherche à s’ancrer dans le temps long puise souvent dans l’histoire, et particulièrement dans l’instrumentalisation de celle-ci, une façon d’affirmer son droit, sa légitimité à exister ou à évoluer dans un certain espace géographique ou culturel. Dès lors la construction d’une histoire officielle, parfois très éloignée si ce n’est antagoniste aux réalités historiques établies, mise en avant par un gouvernement est bien souvent le support de revendications au sein même de la nation comme dans les relations de celle-ci avec l’extérieur.

En 2004, à la suite d’une demande de la Chine puis de la Corée du Nord, les sites archéologiques des tombes et de la capitale de l’ancien royaume de Goguryeo[1], situées de part et d’autre de la frontière entre la Corée du nord et la Chine, ont été classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.


Tombe de Gwanggaeto the Great, aussi appelée tombe du général,

datant du 4ème siècle avant JC


Cette décision fut l’occasion de nombreuses polémiques que ce soit concernant la demande qui y a mené, le processus qui permit d’aboutir à cette nomination ou encore suivant les réactions des partis impliqués après que cette décision fût prise. Ainsi la suppression de toute référence à la Corée du Sud dans l’histoire de Goguryeo tel que présentée sur le site du ministère chinois des affaires étrangères provoqua une levée de bouclier populaire comme diplomatique de la part des Coréens du Sud s’estimant victimes d’un vol de leur Histoire. Au-delà des canaux diplomatiques traditionnels, nombre de forums en ligne virent s’affronter Chinois et Coréens, soutenant des discours parfois modérés mais souvent empreints d’un fort nationalisme et révisionnisme historique. D’un côté les internautes chinois soutiennent que le royaume de Goguryeo et les populations qui l’ont précédé étaient rattachés à la Chine et font donc partie de l’unité culturelle chinoise, de l’autre les internautes coréens défendent le rôle du royaume de Goguryeo comme pilier de l’identité coréenne et comme l’une des premières manifestations concrètes de la mainmise de la Corée sur la péninsule.

Mais qu’est-ce donc que ce royaume de Goguryeo et comment s’insère-t-il dans les grands débats identitaires et géopolitiques qui agitent l’Asie de l’Est ? Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à cette question tout au long de cet article en s’intéressant d’une part aux origines du royaume de Goguryeo, qui occupent une place toute particulière dans ce débat notamment du côté chinois, et d’autre part au royaume de Goguryeo en lui-même et à son importance, non seulement dans l’historiographie de la région, mais aussi dans les prétentions à une identité coréenne plurimillénaire.


400 000 avant J.C,  c’est à cette date que remontent les premières traces de peuplement dans la péninsule coréenne au paléolithique. Ce sont alors des peuplades nomades, provenant majoritairement de Mandchourie de du Nord Est de l’Asie, vivant principalement de la chasse et de la pêche. A partir du 6ème millénaire avant J.C débute l’ère Jeulmun marquée par l’apparition de poteries avec des motifs en peigne trouvées majoritairement le long de la rivière Han qui traverse l’actuelle Séoul.


Poterie de l’ère Jeulmun


Dès 4000 avant J.C. la riziculture se développe, aidée par un climat quasi tropical en été accompagné de fortes moussons à la même période, qui permet la sédentarisation d’une partie de ces peuplades et leur accroissement démographique. Ce développement se poursuit jusqu’en 2000 avant J.C. par le passage à l’ère Mumun, elle est marquée par un nouveau style de poterie avec des récipients à double bord. Cette ère s’accompagne par ailleurs de plusieurs avancées majeures qui facilitent la sédentarisation et l’apparition de civilisations complexes et organisées avec l’utilisation du bronze en 700 avant J.C. puis du fer en 300 avant J.C. L’influence grandissante de la Chine dans la région est aussi caractéristique de cette époque et celle-ci jouera un rôle croissant au cours des siècles suivants. C’est dans ce contexte qu’émerge le royaume de Gojoseon au Nord de la péninsule qui joue lui aussi un rôle important dans l’identité et la mythologie coréennes.

De fait pour les Coréens, le royaume de Gojoseon tire ses origines du mythe de Dangun Waggeon qui place sa date de création en 2333 avant J.C. bien avant le début de l’ère Mumun. Selon ce mythe Dangun est le fils de Hwanung, lui-même fils de Hwanin, dieu du ciel dans le Cheondoisme et Jeungsanisme qui sont deux courants religieux majeurs en Corée en dehors du bouddhisme qui reste la religion dominante et rapproche celui-ci d’Indra, et de Ungnyo, un ours transformé en femme par Hwanung. Il a fondé la ville d’Asadal, capitale de Gojoseon, à l’endroit de l’actuelle Pyongyang. Si la majorité des historiens s’accorde à dire que Gojoseon s’apparentait davantage à un regroupement de tribus plus ou moins liées les unes aux autres, il n’en demeure pas moins que celui-ci a une importance toute particulière dans la culture coréenne. C’est cette première entité qui sera conquise par la Chine des Han, dirigée par l’empereur Wu, au 2ème siècle avant J.C. et passera alors sous le contrôle direct de celle-ci pour la première et dernière fois de son histoire. Les Hans créent alors 4 commanderies qui feront office de divisions administratives afin de gouverner sur le territoire de Gojoseon.


Les quatres commanderies pendant la période de domination chinoise


Les Commanderies de Lelang et Xuantu sont les plus importantes, Lelang produisant du textile et des céramiques, savoir que les Coréens sauront conserver et faire fructifier au cours de leur histoire.  C’est donc une période majeure de sinisation de la région et elle est à l’origine de nombreuses connections et échanges entre la Chine et les populations de la péninsule coréenne. Dès lors c’est aussi, naturellement, un important support des revendications chinoises visant à inclure la Corée dans l’ère de civilisation chinoise. Cependant, s’il est indéniable que la Chine a joué un rôle majeur dans la région à cette époque-là, c’est négliger les nombreuses populations, clans et tribus qui subsistent dans la région et avec lesquels la Chine entretient des relations tantôt conflictuelles tantôt amicales. La Chine mène en effet une politique d’apaisement aussi appelée Heqin qui consiste à couvrir de cadeaux certains de ces clans pour s’attirer leurs faveurs. Ainsi, quelles sont les tribus qui regroupent la majorité de la population de la péninsule ?

Au sud on trouve 3 tribus Hans avec les Mahan, la plus nombreuse et basée sur l’agriculture, les Chinhan, dépendant notamment de la sériculture, et les Pyonhan. Celles-ci donneront naissance à plusieurs royaumes bien distincts de la Chine quelques siècles plus tard sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir dans l’article suivant de cette série. A ces trois tribus se joint celle des Was, première population associée au Japon mais qui conserve une présence non négligeable au Sud-Est de la Péninsule coréenne. Enfin au Nord, sur le territoire de Gojoseon, on dénombre un total de 9 tribus. Parmi elles Buyeo, proche alliée de la Chine, et Goguryeo. Cette dernière apparait en 37 avant Jésus Christ selon le Samguk Sagi [2] (histoire des trois royaumes) et est fondée par Dongmyeong au Sud de la Mandchourie.


Le roi Dongmyeong de Goguryeo (58 av. J.C – 19 av. J.C)

 

Regroupement tribal belliqueux par excellence du fait de l’absence de ressources suffisantes sur son territoire pour soutenir sa population grandissante, il conquiert rapidement d’autres territoires et s’organise lui-même en 4 grandes divisions administratives. Il entretient même des relations diplomatiques avec la Chine de 75 à 12 avant J.C et son souverain s’autoproclame roi (wang en coréen) pour souligner sa volonté de se distinguer de la Chine. De fait si la Chine cherche à s’attirer les faveurs de certains clans elle place aussi nombre de populations natives de la région dans un état d’exploitation prononcé qui provoque des révoltes fréquentes de la part de ces peuples. Aussi la montée fulgurante de Goguryeo l’inquiète d’autant plus que celui-ci gagne en influence auprès d’autres tribus locales opposées à la Chine.


C’est l’éclatement de l’empire Han en 220 après J.C. qui donnera l’opportunité à nombre de puissances comme Goguryeo de s’émanciper de l’influence chinoise et de développer un premier sens d’identité coréenne, ou plutôt d’identités étant donné le caractère encore relativement hétérogène, malgré de nombreuses similarités, de ces différentes tribus. Cette ascension sera de courte durée avec la montée de la dynastie Chinoise des Wei au nord de la Chine qui, craignant Goguryeo et souhaitant pacifier la région, l’attaque et prend le contrôle de sa capitale en 244. Cependant cette disparition de Goguryeo ne sera que provisoire et n’est que le prélude d’une renaissance à peine un siècle plus tard qui sacrera le royaume de Goguryeo comme l’un des plus puissants de la péninsule pour plusieurs siècles. C’est sur cette période de fortes rivalités entre puissances émergentes dans la péninsule dont les trois plus grandes, Goguryeo, Baekje et Goguryeo, se feront face dans des luttes armées et d’influence qui marqueront profondément l’histoire de la région, que nous reviendrons dans le prochain article de cette série.


NOTES


[1] Par souci de cohérence j’utilise d’un bout à l’autre de cet article le système de romanisation révisé du Coréen qui est le système officiel de romanisation du coréen depuis les années 2000 et qui est également utilisé par Kyung Moon Hwang. Cependant, une bonne partie, pour ne pas dire la majorité, des ressources que j’ai utilisées pour écrire cet article utilisent une orthographe différente, par exemple Michael J.Seth utilise le McCune-Reishauer system, qui faisait autorité dans le monde académique anglophone à l’époque de la rédaction de son ouvrage. Aussi on pourra trouver Goguryeo écrit Koguryo ̆ et, de manière générale, les noms des lieux, royaumes, personnages clés etc.. sont orthographiés différemment que dans cet article.


[2] Le Samguk Sagi, ou histoire des trois royaumes en Coréen, est un des ouvrages majeurs, avec le Samguk Yusa (mémoire des trois royaumes) publié en 1279, traitant de l’histoire de la région à cette époque et qui remonte à plusieurs siècles avant notre ère. Écrit en 1145 par l’historien et général coréen Kim Busik, s’il est en effet l’une des principales sources écrites sur la péninsule coréenne dont les historiens de cette période disposent, il n’en demeure pas moins que certains passages sont particulièrement romancés et fortement influencés par la période à laquelle ce texte a été écrit, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons probablement dans une autre série d’article, qui est très différente de la période dont il parle. Par ailleurs le texte fondateur de l’histoire japonaise, le Nihon Shoki, et plusieurs textes chinois majeurs dont le Shiji de l’historien chinois Sima Qian, qui est lui un contemporain de cette époque, publié en 100 avant J.C., sont aussi des sources précieuses pour documenter cette époque


BIBLIOGRAPHIE


  1. Michael J.Seth, A history of Korea – From Antiquity to the present, 2010, Rowman & Littlefield Publishers

  2. Kyung Moon Hwang, A History of Korea, 3rd edition, 2021, Palgrave

  3. Kim Taesik, Koguryeo and Gaya – contacts and consequences, Hungik universitt, journal of Northeast Asian History, Vol. 4 n°1 (p41-82), 2007

  4. Jung Woon Yong, Trends in Koguryo’s relationship with Paekche and Silla during the 4th – 7th centuries, International Journal of Korean history, Vol. 8, 2006

  5. Mark Byington, The War of Words Between South Korea and China Over An Ancient Kingdom : Why Both sides are misguided, history news network, Columbian college of arts & science, The George Washington university, 2004

  6. Thomas Chase, Nationalism and the Net : online discussion of Goguryeo history in China and South Korea, Monash university, China Information, 2011

  7. John Stuart Mill, Considerations on representative government, Ch. XVI, Of Nationality, as connected with representative government, 1861

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